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APPRETAGE ET PRESENTATION DES ANTIGENES DANS LE
CONTEXTE CMH DE CLASSE I

d'après le cours du Dr. François Lemonnier

 

I- INTRODUCTION

Le complexe majeur d’histocompatibilité (CMH) appelé HLA chez l’homme, H-2 chez la souris, comporte trois classes de gènes:
- Les gènes de classe I codent la chaîne a (chaîne lourde) des molécules d’histocompatibilité de classe I. Ces chaînes lourdes, associées à la b2-microglobuline, sont reconnues par les lymphocytes T CD8+, le plus souvent cytotoxiques. Les produits des loci HLA-A, -B, ou -C et H-2K, -D ou -L se différencient des produits des autres gènes de classe I par leur expression quasi ubiquitaire et leur grand polymorphisme allélique. Ces deux caractéristiques rendent compte de leur utilisation prévalente par les lymphocytes T cytotoxiques.

Le chromosome humain 6 porte les loci Humain HLA-A, B et C
Les loci Humain HLA-A, B et C sont situé sur le chromosome 6, en aval des gènes de classe II

- Les gènes de classe II codent les la chaîne a et b des molécules d’histocompatibilité de classe II. Ces molécules, également très polymorphes, sont d’expression restreinte à certains types de cellules (monocytes, lymphocytes B). Elles sont reconnues par les lymphocytes T CD4+, le plus souvent amplificateurs et non cytotoxiques. Elles assurent principalement la présentation des antigènes exogènes, par exemple celle de protéines injectées.

Le chromosome humain 6 porte les loci Humain HLA-DP, DQ et DR
Les loci Humain HLA-DP, DQ et DR sont situé sur le chromosome 6, en amont des gènes de classe I

- Les gènes de classe III forment un ensemble hétérogène comportant des gènes sans relevance immunologique (gène de l’hydrolase en 21 des hormones stéroïdiennes par exemple et des gènes d’intérêt immunologique direct (C4A, C4B, TNF, gènes codant les deux sous-unités TAP 1, TAP 2 des pompes à peptides associés à la présentation antigénique par les molécules d’histocompatibilité de classe I, gènes codant certaines sous- unités LMP-2, LMP-7 du protéasome.

 

II- PRESENTATION ANTIGENIOUE PAR LA MOLECULE D’HISTOCOMPATIBILITE DE CLASSE I

A - La molécule d’histocompatibilité de classe I
Elle résulte de l’association de 3 éléments: la chaîne lourde, la b2-microglobuline et un court peptide de 8 à 10 acides aminés. b2-microglobuline et peptide sont nécessaires à la stabilisation de la molécule et à sa migration vers la surface cellulaire.
La structure tridimensionnelle de la molécule d’histo-compatibilité est maintenant bien connue. Cette molécule comporte 2 parties: un "pied", formé par le 3ème domaine de la chaîne lourde surmonté de la b2-microglobuline; ce pied assure la connexion avec la portion intracellulaire courte de la molécule, il supporte à son autre extrémité la "tête" de la molécule qui est formée des domaines al et a2 de la chaîne lourde.

Molécule de CMH I
Vue schématique d'une molécule de CMH I

Les domaines al et a2 forment un plateau constitué par le rapprochement de 8 plis b anti-parallèles. Ce plateau est surmonté de deux hélices a. Plateau et hélices délimitent une grotte de 25 Å de long et 10 Å de large au niveau de laquelle se fixent les peptides qui seront présentés au système immunitaire.

Peptide fixé dans la "grotte"
Peptide fixé dans la "grotte"

Il est important de noter que cette grotte est fermée à ses deux extrémités et que l’essentiel des résidus polymorphes, ceux qui différencient les allèles, se regroupent au niveau de cette grotte, soit sur le plancher, soit sur la face interne des hélices a. Ces résidus polymorphes délimitent des "poches" (6 dans le cas de HLA-B27 par exemple) de structure variable et qui doivent accommoder les extrémités NH2 et COOH terminales et les chaînes latérales des peptides fixés. Le jeu de peptides fixés par un allèle diffère donc du jeu de peptides fixés par un autre allèle.

B - Six Postulats
- La charge des peptides par les molécules d’histocompatibilité de classe I est un phénomène passif résultant de la simple diffusion de ces peptides dans le réticulum endoplasmique.
- Les molécules d’histocompatibilité fixent des peptides courts (de 8 à 10 acides aminés), lorsqu’ils ont les rédidus d’ancrage appropriés à l’allèle interactif.
Ces assertions sont toutes excessives, soit qu’elles simplifient la réalité biologique, soit qu’elles présentent comme établies des hypothèses encore incomplètement testées. Nous les considérerons successivement dans la suite de cet exposé, afin de mieux cerner dans chaque cas les limites entre ce qui est démontré et ce qui ne l’est pas.

Présentation d'un peptide viral au cellule T cytotoxique via une molécule de CMH I
Exemple d'une présentation d'un peptide viral au cellule T cytotoxique via une molécule de CMH I

1 - Origine endogène exclusive des peptides présentés par les molécules d ‘histocompatibilité de classe I (1-4)
Dans l’ensemble, cette assertion se vérifie mais avec une exception majeure, la cellule dendritique. Par exemple, l’injection d’une protéine (KLH) à une souris induit une réponse lymphocytaire T proliférative et la production d’anticorps (surtout si la KLH a été couplée à un haptène) mais ne stimule pas le secteur lymphocytaire CD8+. A l’inverse, l’inoculation de cellules lymphocytaires de souris mâles à une souris syngénique (dont la naissance est commune, de lignée pure) femelle induit une réponse cytotoxique T CD8+ mais ne stimule pas la production d’anticorps.
Des exceptions à cette règle viennent cependant d’être rapportées. Prenons le cas de l’ovalbumine. Si de l’ovalbumine est injectée à une souris, on induit une réponse proliférative, pas ou très peu de réponse cytotoxique. Si les cellules spléniques du même animal sont incubées in vitro avec cette même ovalbumine puis réinjectées à cette souris, celle-ci développera lors d’une stimulation de rappel ultérieure de puissantes réponses cytotoxiques restreintes par la molécule d’histocompatibilité de classe I et spécifiques de l’ovalbumine. Des observations analogues ont été faites avec d’autres molécules, par exemple la transcriptase reverse du VIH. L’introduction de peptides immunogéniques pour les lymphocytes T cytotoxiques dans des molécules susceptibles de pénétrer dans le cytosol (certaines toxines bactériennes par exemple) ou l’expression de ces peptides par des micro- organismes (Listéria monocytogènes, BCG) dont le cycle réplicatif comporte une étape intracellulaire, permet d’induire de bonnes réponses CTL.
Il a été observé pour différentes protéines (glycoprotéine d’enveloppe du virus LCMV, nucléoprotéine du VSV) que leur dénaturation (chauffage, SDS) préalable à leur injection favorise l’induction de réponses cytotoxiques, tout comme leur inclusion dans des structures particulaires (Ty de levure, particules pseudovirales, adsorption de ces protéines sur des billes de latex).
Par un mécanisme comparable, les antigènes inclus dans les corps apoptotiques dérivant d’une cellule sont efficacement présentés aux lymphocytes T cytotoxiques.
La cellule dendritique est pour l’essentiel responsable de la présentation de ces antigènes particulaires grâce à sa capacité de macropinocytose avec adressage dans le cytosol d’une partie des antigènes ingérés.

2 - Dégradation exclusivement cytosolique
La dégradation cytosolique d’antigènes présentés par les molécules d’histocompatibilité de classe I a été établie par A. Townsend. Il a observé que lors d’une infection par le virus grippal, une large fraction des cellules cytotoxiques reconnaissait la nucléoprotéine virale qui n’est pas exprimée à la surface mais dans le cytosol des cellules infectées. Cette observation a été confirmée dans de nombreux systèmes, certains, que l’on peut subdiviser en 2 sous-groupes, plus intéressants que les autres car ayant résulté de manipulations de déroutage antigénique. Dans le premier sous-groupe, par excision de la séquence signal, des molécules (hémagglutinines du virus grippal, molécule HLA-Cw3) sont adressées dans le cytosol et non, comme à l’état naturel, à la membrane plasmique. Néanmoins, dans les deux cas, les cellules exprimant ces protéines détournées continuent de présenter efficacement les mêmes peptides immunogènes. Le second sous-groupe correspond à un déroutage antigénique par pinocytose forcée. La pinocytose d’ovalbumine en milieu hyperosmotique suivie d’un choc hypo-osmotique modéré et bref assure la pénétration cytosolique de l’ovalbumine et, une heure plus tard, les cellules ainsi traitées présentent à leur surface les peptides immunogéniques de cet antigène associés à leurs molécules d’histocompatibilité de classe I.
Il est donc bien établi qu’une protéine adressée dans le cytosol est dégradée et présentée efficacement par les molécules d’histocompatibilité de classe I. Est-ce suffisant pour affirmer que le cytosol est le site de dégradation unique donnant accès à la présentation restreinte par les molécules d’histocompatibilité de classe I ? Certainement non.
De façon très récente, il a été observé que des molécules d’histocompatibilité de classe I pouvaient présenter des peptides produits dans le réticulum endoplasmique par la signal peptidase, et correspondant aux séquences hydrophobes d’adressage vers le réticulum des protéines exportées. La phagocytose de bactéries exprimant l’ovalbumine aboutit à la stimulation de CTL : cette stimulation peut être est inhibée par la chloroquine (qui élève le pH des endosomes et du lysosome),mais pas par la bréfeldine (qui bloque l’export des protéines du réticulum endoplasmique vers le Golgi). La charge des molécules de classe I est donc dans ce cas dépendante de l’activité des protéases lysosomiales (ou cathepsines). Ces observations illustrent le caractère opportuniste de la présentation antigénique par les molécules de classe I et l’utilisation possible pour cette présentation de plusieurs systèmes protéasiques.
Il a de même été proposé que des protéases associées aux compartiments excréto-sécrétoires (réticulum endoplasmique, Golgi) pouvaient assurer un apprêtage efficace des protéines adressées dans ces compartiments cellulaires. En effet, l’expression dans ces compartiments de la glycoprotéine d’enveloppe du VIH par des cellules déficientes en activité TAP (voir ci-après) est suivie d’une présentation efficace de peptides aux lymphocytes cytolytiques par les molécules d’histocompatibilité de classe I. Il vient d’être établi que des peptides transloqués dans le réticulum endoplasmique par les pompes TAP avec une extension amino-terminale ne permettant pas leur fixation efficace aux molécules d’histocompatibilité de classe I subissaient un élagage de cette extension amino-terminale par des amino-peptidases zinc-dépendantes dans ce compartiment cellulaire. A l’inverse, aucune possibilité d’élagage de l’extrémité C- terminale ne semble exister dans le réticulum endoplasmique. Il est cependant clair que les capacités d’apprêtage du réticulum endoplasmique et du Golgi sont limitées. Ainsi, ces protéases putatives ne permettent pas l’apprêtage efficace d’autres molécules (glycoprotéine du virus de la rougeole, glycoprotéines cellulaires sécrétées ou exprimées à la membrane plasmique). Il semble donc raisonnable de considérer le cytosol comme le site privilégié de production peptidique. Dans la mesure où l’ensemble des molécules produites par une cellule peuvent être efficacement apprêtées et présentées aux lymphocytes cytolytiques, quel que soit le compartiment cellulaire dans lequel elles sont adressées (mitochondrie, noyau, voie excréto-sécrétoire), on est conduit à postuler des mécanismes d’acheminement de retour vers le cytosol (avec implication de molécules chaperonnes) ou a concevoir que l’apprêtage et la présentation peptidique par les molécules d ‘histocompatibilité de classe I résultent de la dégradation d’une fraction de protéines imparfaitement synthétisées par les ribosomes. Il vient ainsi d’être démontré par étude de cellules infectées par le cytomégalovirus humain que la dégradation de protéines HLA de classe I (moyen développé par ce virus pour échapper aux CTL) adressées dans le réticulum endoplasmique était effectuée dans le cytosol, deux des protéines du virus (analogues à Sec 61 et associées au canal d’exportation des protéines vers le réticulum endoplasmique) assurant ce transport rétrograde, rapidement suivi d’une déglycosylation par une N-glycanase cytosolique.

3 - Présentation antigénique par les molécules d’histocompatibilité de classe I et protéolyse dépendante de l’ubiquitine (11 - 15)
La dégradation d’une protéine par la voie de l’ubiquitine dépend de la fixation, sur une même molécule, de plusieurs ubiquitines, la mono-ubiquitinilation étant un processus réversible. Cette fixation est aussi dépendante de la protéine elle-même: des protéines modifiées par oxydation, ou porteuses de séquence PEST ou ayant en situation NH2 terminale un acide aminé basique ou hydrophobe ("N end rule") sont, en général, de bons substrats pour l’UCDEN et tendent, en conséquence, à être rapidement dégradées.
Cette fixation est assurée par un complexe multimérique de dégradation, l’UCDEN (Ubiquitin Conjugate Degrating Enzyme) de 1500 Kd.

L'ubiquitination
Le processus d'ubiquitination

L’UCDEN est formé de 3 sous-unités: CF1, CF2, CF3 qui peuvent s’associer et se dissocier de manière contrôlée (ATP Mg++). CF3 (650 Kd) est encore connu sous les noms de protéasome, de multicatalytic enzyme, de macropaïne. Le protéasome est formé de 13 à 20 sous-unités différentes, on le trouve surtout dans le cytosol, au niveau des nucléoles, certaines sous-unités seraient aussi à la surface cellulaire.

Particules de protéasome
(A) De nombreuses particules de protéasome (B) Un modèle 3D d'un seul complexe de protéasome
(Electron micrographs courtesy of Wolfgang Baumeister, from J.M. Peters et al.
J. Mol Biol. 234: 932_937, 1993.)

Le protéasome est une structure commune à toutes les cellules eucaryotiques. Il est philogénétiquement très conservé. On associe au protéasome deux fonctions :
Il inhiberait spécifiquement la traduction de certains ARN messagers, le protéasome étant un complexe ribonucléoprotéique, les courts ARN qui lui sont associés conféreraient à ce blocage sa spécificité.
Il est également capable d’activité endopeptidasique et trois sites catalytiques distincts de type trysique (post-arginine) , chymotrysique (post-leucine) et post-glutamique lui sont associés.
Un grand nombre d’arguments supportent la possibilité que l’UCDEN soit responsable de la production des peptides envoyés dans le réticulum endoplasmique et éventuellement fixés par les molécules d’histocompatibilité de classe I :
- les gènes LMP2, LMP7 et LMP10 qui participent à la formation du protéasome, sont retrouvés en abondance sur la face cytosolique du réticulum endoplasmique, et sont inductibles par le g interféron;
- l’étude des peptides produits par des protéasomes isolés de cellules LMP2 négatives, de cellules normales traitées par de l’interféron ou de cellules normales non traitées, révèle de substantielles différences à la fois qualitatives et quantitatives;
- il semble de la même manière, que des souris recombinantes négatives pour le gène LMP2, présentent moins de peptides associés à leurs molécules de classe I que les souris contrôle;
- enfin, la présentation par les molécules de classe I de peptides dérivant de l’ovalbumine, suite à leur internalisation forcée, par pinocytose osmotique, est déficiente dans le cas de cellules incapables d’activer la voie de l’ubiquitine ou peut être inhibée par des drogues bloquant l’un des sites catalytiques du protéasome.
Ces données n’excluent pas cependant l’existence de voies alternatives. Tout d’abord certaines protéines (ornithine décarboxylase, V- Jun) sont dégradées par l’UCDEN sans avoir été ubiquitinées. Il est également possible que d’autres protéases cytosoliques puissent se substituer, dans certains cas, à l’UCDEN. Il a été rapporté récemment que des cellules, traitées de manière prolongée par des drogues inhibant le protéasome, survivaient à ce traitement et restaient capables d’assurer une présentation antigénique aux T cytotoxiques. Il n’est enfin pas sûr que les protéases cytosoliques, même dans le cas où leur implication est établie (ovalbumine introduite par pinocytose par exemple), soient les seules protéases impliquées. On peut concevoir en particulier que ces endoprotéases donneraient, par clivage interne, naissance à des pro-peptides le plus souvent impropres à un transport efficace vers le réticulum, par exemple parce que trop longs, mais qui pourraient le devenir par action subséquente d’exoprotéases cytosoliques.
Il faut enfin souligner que les variations de jeux peptidiques produites par le protéasome 26S basal et l’immunoprotéasome (incluant LMP2, LMP7 et LMP10) suite à la production d’interféron et favorisant les coupures après les résidus hydrophobes, peuvent dans certains cas prévenir la présentation de certains épitopes, une donnée à prendre en considération, surtout dans le cadre d’immunothérapie antitumorale avec un nombre de peptides épitopiques candidats limité.

4 - Les peptides de classe I produits dans le cytosol sont acheminés dans le réticulum endoplasmique par les pompes à peptides associées au CMH
Ces pompes ont été découvertes grâce à l’analyse de cellules mutantes (RMA-S chez la souris, T2 chez l’homme) obtenues en contre-sélectionnant pour l’expression des molécules d’histocompatibilité de classe I. Il se trouve que cette expression réduite contraste avec une production intracellulaire normale qualitativement et quantitativement de chaînes lourdes et de b2-microglobuline, et que l’incubation de ces cellules mutantes avec des peptides appropriés (susceptibles de se fixer à leurs allèles de classe I) restaure partiellement l’expression de surface de ces molécules. Par analyse de ces cellules (fusion intercellulaire, caryotype) il a été conclu (cellules T2) que le défaut d’expression des molécules HLA de classe I était lié à la perte de gènes situés dans la région HLA-D. Parallèlement à ces travaux, deux groupes ont isolé certains des gènes de classe III du CMH. L’analyse de ces gènes a mis en évidence que deux d’entre eux avaient une structure comparable (site de fixation de l’ATP, multiples segments transmembranaires, homologies de séquence) à celle d’une famille de transporteurs transmembranaires. A cette famille, appartiennent les gènes du canal Cl - déficient chez les patients atteints de mucoviscidose, les gènes codant la protéine mdr (multidrug resistance) et un gène bactérien de salmonelle assurant les transports de peptides. Les gènes des pompes à peptides associés au CMH ont donc été utilisés pour corriger, par transfection, le défaut d’expression des mutants RMA-S et T2. Cette correction a été obtenue; elle a nécessité, selon les cas, l’un ou l’autre, voire les deux gènes. L’analyse du gène TAP2 des cellules RMA-S révélé l’existence d’un codon stop prématuré introduit par mutation; la fonction de présentation des cellules RMA-S est complètement restaurée par un ADN complémentaire TAP2.
L’analyse des caractéristiques fonctionnelles de ces pompes a été possible au cours de ces deux dernières années par utilisation de cellules semi-perméabilisées par la streptolysine O. Ces cellules peuvent être chargées en peptides iodés (au niveau d’une tyrosine) et dont la glycosylation (sur un résidu asparagine) témoigne d’un transport efficace dans le réticulum endoplasmique. Cette approche a permis d’établir que les pompes TAP sélectionnent des peptides de 8 à 16 acides aminés. Elles transportent préférentiellement des peptides se terminant par un résidu hydrophobe (leucine, isoleucine) et par un résidu basique (dans le seul cas des pompes TAP humaines et des allèles A chez le rat). Peu de contraintes semblent exister en ce qui concerne les acides aminés internes, ce qui conduit à concevoir que les peptides interagissent avec les pompes TAP par des liaisons hydrogène impliquant la chaîne polypeptidique principale. Suite à cette interaction, un changement conformationnel, dépendant de la consommation d’ATP, permettrait leur transport dans le réticulum endoplasmique. Il convient cependant de noter que certains peptides, de longueur et d’extrémité COOH propice au transport, ne sont pas efficacement exportés et que le niveau de restriction, lié à la sélectivité des pompes TAP, de la présentation antigénique par les molécules d’histocompatibilité de classe I, reste à évaluer. Il semble d’autre part que certaines protéines du choc thermique (les Hsp 70) assurent, dans le cytosol, la liaison entre protéasome et pompe TAP, fixant les peptides produits par le premier pour les amener aux pompes.

5 - Association de peptides aux molécules d’histocompatibilité dans le réticulum endoplasmique : processus passif ? (21- 23 )
On pourrait concevoir que cette association obéisse à des règles simples d’interactions entre 3 ligands. La chaîne lourde pourrait par exemple interagir d’abord avec la b2-microglobuline mais cette interaction, généralement instable, ne deviendrait définitive qu’après la fixation d’un peptide, cette stabilisation autorisant la sortie de la molécule vers le cis-golgi et la surface cellulaire. Dans ce modèle, les concentrations relatives des trois partenaires seraient les seuls facteurs limitants, la fixation peptidique serait sous la seule dépendance de la chaîne lourde d’histocompatibilité, seule chaîne à former le site de fixation peptidique. Si ce modèle était correct, on s’attendrait, lors d’expériences de dissociation-réassociation in vitro, à ce que l’efficacité de cette reconstitution de molécules d’histocompatibilité de classe I soit grande, tout au moins lorsque les conditions expérimentales sont telles que les liaisons disulphures sont préservées. Ce n’est pas le cas. Au mieux, 40% des molécules sont recomposées. Nous savons d’autre part que, dans le réticulum, la chaîne lourde interagit avec d’autres molécules (p88 ou calnexine, calréticuline, tapasine, BIP). Ces molécules, porteuses de séquences de rétention dans le réticulum endoplasmique (KDEL) pourraient retenir (entre autres) les molécules d’histocompatibilité jusqu’à ce qu’elles aient fixé des peptides. Il semble en effet que tel soit le cas. La calréticuline s’associe aux chaînes lourdes isolées. Après fixation de la b2-microglobuline, le complexe chaîne lourde b2-microglobuline, dépourvu de peptide, est pris en charge par la calréticuline, puis, après interaction avec la tapasine, ce complexe interagit avec la face luminale des pompes TAP, jusqu’à fixation d’un peptide.

Association de peptides aux molécules du CMH I dans le R.E
Modèle d'association de peptides aux molécules du CMH I dans le R.E.

Cette interaction cesse après la fixation peptidique. De manière alternative, il est possible que les peptides exportés par les pompes TAP soient fixés dans le réticulum endoplasmique, sur une molécule chaperonne Gp96, qui fait partie des protéines induites par un choc thermique. Il a été démontré qu’une activité peptidasique NH-2 terminale du réticulum endoplasmique (non encore moléculairement identifié) assurait la réduction de longueur des peptides transportés de taille excessive pour une fixation efficace aux molécules d’histocompatibilité de classe I.

6 - Règles de fixation dans la grotte des molécules d’histocompatibilité de classe I
Elles sont déduites pour l’essentiel des travaux du groupe de H. Ramensee. Après purification biochimique des molécules d’histocompatibilité, élution acide des peptides, séparation de ceux-ci par chromatographie, leur séquence est définie par microséquençage.
L’extrémité NH2 terminale des peptides interagit avec la poche A qui comporte 3 tyrosines conservées (7, 159 et 171) permettant, par leur groupement hydroxyle, le développement de liaisons hydrogène avec les groupements amine et carbonyle du premier acide aminé du peptide. La chaîne latérale de ce premier acide aminé, du fait de ces interactions, est donc nécessairement orientée vers la sortie de la grotte. Cette observation cristallographique est en accord avec les données biochimiques qui n’ont pas révélé de biais, pour un acide aminé particulier, à cette position.
L’extrémité COOH terminale du peptide interagit avec la poche F. L’entrée de cette poche comporte des résidus conservés (Tyr 84, Thr 143, Lys 146, Trp 147) qui développent de nombreuses liaisons hydrogène avec les groupements carboxyle terminal et carbonyle de l’avant dernier acide aminé du peptide. La chaîne latérale du dernier acide aminé entre dans la poche F, qui est le plus souvent très hydrophobe, ce qui rend compte de la prédominance en position C terminale des résidus leucine, isoleucine ou valine. Certains allèles (HLA-B27, RIT de rat) ont un résidu acide aspartique, en position 116. Cet acide aspartique est localisé dans la poche F. Ceci permet à ces allèles de fixer des résidus dont la chaîne latérale est chargée positivement (Arg), la charge positive étant neutralisée par la création d’un pont salin avec le groupement carboxyle chargé négativement de l’acide aspartique.
Si les interactions des extrémités N et C terminales, en raison des liaisons hydrogène ci-dessus détaillées, imposent au peptide une orientation constante à l’intérieur de la grotte, elles ne suffisent pas à une interaction stable. Cette stabilisation est pour beaucoup assurée par le développement de liaisons hydrogène entre, d’une part, les chaînes latérales des acides aminés des faces latérales et du plancher de la grotte, et, de l’autre, les groupements amines et carbonyles des liaisons peptidiques de la chaîne principale du peptide fixé. Ces liaisons font que le peptide est généralement profondément enfoui dans la grotte. Dans la mesure où ces liaisons se développent avec la chaîne atomique principale du peptide (correspondant â la succession de liaisons peptidiques), elles devraient être indépendantes de sa séquence en acides aminés. Si tel était le cas, d’importantes redondances devraient être observées entre les jeux de peptides fixés par les différents allèles. Tel n’est pas le cas.
Deux facteurs rendent compte de ce fait. Il est tout d’abord nécessaire que la grotte de fixation peptidique puisse accommoder les chaînes latérales du peptide fixé. Ces contraintes sont surtout importantes pour les acides aminés de la moitié N terminale du peptide. Elles sont donc largement dépendantes de la taille des poches B et C et de la nature des résidus qui les forment. Ainsi, les molécules H- 2Kd qui ont une poche B profonde, sélectionnent des peptides ayant une tyrosine en position 2 (la chaîne latérale aromatique de ce résidu se place dans la poche B). Inversement, la petite poche B de la molécule H-2Kb rend compte du fait que les acides aminés en position 2 des peptides associés à cette molécule, ont une chaîne latérale courte (glycine, alanine). La position S assure, dans ce cas, l’ancrage principal, avec utilisation de la poche C. Moins de contraintes s’exercent sur la moitié C terminale du peptide fixé, les interactions entre les chaînes latérales du peptide fixé et les molécules de classe Ise faisant souvent, à ces niveaux, par l’intermédiaire de molécules d’eau. Il faut enfin ajouter que des acides aminés à chaîne latérale encombrante sont généralement retrouvés au niveau des parois latérales de la poche de fixation peptidique, entre les poches. L’encombrement stérique qui en résulte limite également le jeu peptidique fixé par chaque allèle.
L’ensemble de ces contraintes fait que le peptide est fixé aux molécules d’histocompatibilité dans une configuration étendue, comportant le plus souvent un coude au niveau des troisième et quatrième acides aminés, que la longueur habituelle est de 9 résidus, et que les chaînes latérales des résidus P1, P4, P5, P7, P8 sont, en théorie, accessibles au TCR. Ces règles ne sont cependant pas très strictes. Des peptides avec une séquence non consensuelle pour un allèle donné, sont parfois efficacement présentés. Il est probable que le défaut d’ancrage principal est alors compensé par les interactions des chaînes latérales des résidus aux positions d’ancrage secondaire. Des exemples de fixation de peptides, dont les séquences diffèrent de la séquence canonique définie pour chaque allèle, sont de plus en plus nombreux, certains étant même essentiels à la défense efficace de l’organisme. Des peptides d’une taille non consensuelle sont également présentés, leur fixation étant permise par la formation d’un coude de la chaîne peptidique principale avec extériorisation partielle de la partie centrale du peptide fixé. Il semble même, mais probablement de manière exceptionnelle, que certains peptides puissent déborder côté C terminal de la poche peptidique. Une approche purement prédictive des épitopes CD8 n’est donc pas suffisante, parce qu’elle conduit à l’identification de motifs dont un pourcentage élevé (jusqu’à 80%) ne sont pas immunogéniques, et parce qu’elle méconnaît les peptides non consensuels.

 

III- INTERFERENCES VIRALES

Certains virus interfèrent avec le processus de présentation antigénique par les molécules d’histocompatibilité de classe I. Certains adénovirus répriment l’activité transcriptionnelle des gènes codant les chaînes lourdes. La protéine EBNA 1 du virus EBV comporte un segment NH2 terminal riche en résidus basiques et qui semble prévenir sa dégradation par le protéasome. Les virus Herpès 1 et 2 codent une protéine ICP 47 qui se fixe sur la face cytosolique des pompes TAP et les bloque. Le cytomégalovirus code pour une autre protéine qui simule la fonction de la protéine US 11 analogue à SEC 61 et déroute vers le cytosol les molécules d’histocompatibilité où elles sont dégradées. La protéine E3, 19K de certains adénovirus retient, elle, ces mêmes molécules d’histocompatibilité dans le réticulum endoplasmique. Enfin, la protéine NEF du VIH-1 accélère l’endocytose des molécules d’histocompatibilité suite à leur arrivée à la surface cellulaire.

interférences virales à la présentation du CMHI
Exemple d'interférences virales

 

IV- CONCLUSIONS

Un triple intérêt s’attache à l’étude des mécanismes de production et d’acheminement intracellulaire des peptides destinés à être présentés par les molécules d’histocompatibilité de classe I.
- Intérêt de biologie cellulaire tout d’abord, visant à définir les mécanismes fondamentaux (protéases, systèmes de transports intracellulaires) sur lesquels s’est greffée la présentation peptidique par les molécules d’histocompatibilité de classe I.
- Intérêt immunologique ensuite, car il est clair que ces mécanismes ont des limites (certains peptides ne sont ni produits ni efficacement transportés), ces limites s’ajoutent à celles qui restreignent l’efficacité de l’étape de fixation des peptides au niveau de la poche de présentation et les prendre en compte devrait autoriser une prédiction plus juste des séquences d’éventuel intérêt vaccinal.
- Intérêt vaccinal enfin : si la définition exacte des motifs fixés par les molécules d’histocompatibilité amène à proposer d’utiliser des peptides synthétiques dans un but vaccinal, cette possibilité se heurte à deux ordres de difficulté. Financière, car le coût de ces synthèses est très élevé. Inefficacité relative, car la demi-vie de peptides injectés est courte et ils n’ont pas accès au réticulum endoplasmique où s’effectue l’essentiel de la charge des molécules d’histocompatibilité. Diverses stratégies nouvelles sont en cours d’évaluation: injection de structures particulaires (Ty, HBV), d’ADN intramusculaire (vaccin à ADN), de protéines du choc thermique (Hsp 70, Gp 76) chargées des peptides adéquats sans que l’on puisse, à l’heure actuelle conclure quelle est la meilleure.

 

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